Les formes de résiliences ivoiriennes face aux crises multiples : un kaléidoscope culturel et géographique

Jeremy Allouche et Dieunedort Wandji

Un ancrage culturel et artistique qui transcende les frontières de la nation et du temps

La Côte d’Ivoire est un véritable kaléidoscope où foisonnent de manière impressionnante la diversité de sa géographie humaine et les variétés culturelles qui en expriment la richesse vitale. La richesse géographique et culturelle de ce pays et sa performance économique en font un des poumons centraux de l’Afrique de l’Ouest. En dehors des prouesses footballistiques de son équipe nationale, les Éléphants, la Côte d’Ivoire est également connue comme premier producteur de cacao au monde. Une performance économique exceptionnelle pour ce pays d’Afrique qui, depuis le début du millénaire, marque aussi le monde de la culture par la vitalité de ses créations artistiques. Dans la suite des artistes de renommée tels que Ernesto Djédjé qui porta les sonorités ivoiriennes sur la scène internationale avec des titres à succès à l’instar de Zibote dans les années 1970, les rythmes du Mapouka, du Zouglou, et du Coupé Décalé ont tour à tour explosé sur la scène continentale africaine, puis mondiale.

Crédit Photo: jbdodane / CC BY-NC 2.0

La Côte d’Ivoire est un véritable kaléidoscope où foisonnent de manière impressionnante la diversité de sa géographie humaine et les variétés culturelles qui en expriment la richesse vitale.

À titre d’exemple, l’ampleur de l’émoi suscité aux quatre coins du monde par la mort tragique de DJ Arafat en août 2019, l’une des figures clés de la galaxie musicale ivoirienne, témoigne non seulement de la popularité forgée par ce chanteur iconoclaste, mais aussi de l’ancrage général du répertoire artistique ivoirien dans la mouvance générale des dynamiques culturelles actuelles. Les expressions artistiques qui en rendent compte en Côte d’Ivoire trempent leurs racines dans une diversité tant géographique que culturelle. Elles sont d’abord l’expression des richesses du pays d’Houphouët Boigny, tant de l’Est à l’Ouest, que du Nord au Sud. Elles sont ensuite la peinture d’une société de diversité qui se défait du statut de victime face à de nombreuses crises et perturbations existentielles.

Les créations artistiques comme marques du temps sur les crises multiformes

Parmi ces crises, la plus connue demeurera sans doute la crise politique qui a débouché sur des violences meurtrières en deux vagues successives [1999-2002 ; 2010-2011], au cours des deux dernières décennies. La première débute en 1999 par un coup d’état manqué devenu rébellion armée, qui divise en deux. Les populations civiles en font les frais non seulement parce qu’elles sont exposées directement à la violence meurtrière des combats sporadiques, mais aussi en raison des conséquences économiques de cette crise sur leurs besoins quotidien, rendant la vie très précaire. Mais c’est aussi à cette même période que le Zouglou ivoirien fait une percée sur la scène internationale, notamment avec le groupe Espoir 2000 qui captive par son lyrisme musical et la contemporanéité des thèmes abordés.

La deuxième vague de violence est liée à la crise post-électorale de 2010 qui pendant près d’un an plongea le pays dans une quasi-guerre civile, avec des atrocités commises sur les populations civiles, dont la plus notoire reste le massacre de Duekoué dans l’ouest du pays. Une fois encore, ces flambées de violence meurtrières la disputaient à l’essor dans l’espace francophone mondial du rythme Coupé Décalé dont la tête de prou, un certain Stéphane Doukouré alias Doug Saga, en revendiquait fièrement les valeurs controversées. En effet, au-delà du rythme musical, le Coupé Décalé célèbre la pratique éponyme qui consiste à commettre des petits coups tordus pour la finalité d’avoir de l’argent. Il célèbre aussi la résilience face aux injustices de la vie. Mais au-delà des affres de la guerre, la pertinence des thèmes abordés par ces expressions artistiques témoigne d’autres vulnérabilités qui tenaillent la vie partout en Côte d’Ivoire. Nous avons identifié cinq zones géographiques qui révèlent des vulnérabilités multiples : le district des Montagnes, le district du Bas-Sassandra, le district d’Abidjan, le district de Sepingo et le district de Katiali.

La répartition géographique des vulnérabilités et des aires culturels

Dans le District des montagnes à l’Ouest qui a jadis accueilli les réfugiés de la guerre civile libérienne, l’enclavement et le relief accidenté posent des problèmes de mobilité aux populations qui sont aussi souvent des victimes de l’inondation et de sècheresse. En même temps, dans cette région des masques, arts et musiques Malinké, on note une vitalité qui n’est pas seulement le produit du brassage culturel et des dynamiques transfrontalières. Les festivals des arts et de la culture Dan (Tonkpi) qui rythment certains moments de la vie culturelle ici se succèdent sans effacer le calvaire des cultivateurs de cacao en prise avec des maladies de plantes (notamment le swollen shoot) qui menacent leurs cultures, principale source de revenus.

Dans le Sud-Ouest du pays, le grand banditisme, les violences routières, l’enclavement, la famine (parfois), les inondations et ses conséquences sévissent dans le District du bas-Sassandra. Mais cette zone multiethnique connue grâce au bolo super, une danse traditionnelle modernisée par les frère Kané Sondé , témoigne de plusieurs autres réalités perceptibles dans le foisonnement des cultures Kroumen et Néo.

Les populations d’Abidjan et alentours, quant à elles, vivent autant au rythme de tous les mélanges artistiques propres aux grandes capitales africaines qu’aux défis du quotidien liés notamment aux violences urbaines avec le phénomène des microbes par exemple, et aux conflits fonciers. La partie de la population frappée par la précarité économique est celle que l’on retrouve régulièrement victime des inondations, éboulements de terrain et autres effets du changement climatique. Toutefois, la capitale économique de la Côte d’Ivoire ne se résume pas à ces tristesses humaines. Abidjan présente par ailleurs toute la fière allure d’une ville moderne avec ses grands immeubles, ses routes et ponts. Pour nous rappeler que Abidjan fut jadis une communauté villageoise, il n’y a que l’expression culturelle des peuples lagunaires lors des fêtes de génération (Fokwé ou Facthué), la danse guerrière et la sortie du tambour parleur ou la fête du dipri des abidji de Sikensi.

Dans la zone autour de Katiali, les formes de vulnérabilité concernent principalement les éleveurs qui font faces aux maladies zoonotiques négligées et notamment leur dimension épidémique transfrontalière. Ceux qui dépendent de l’agriculture subissent le choc des multiples stress écoenvironnementaux qui menacent directement leurs moyens de subsistance, voire leurs cultures millénaires. La coexistence ou les conflits entre les agriculteurs sédentaires et les éleveurs pastoraux sont, entre autres, marqués par le rythme des rites initiatique poro et la musique malinké.

La cinquième zone, Sepingo (Bondoukou) est marquée par des stress écoenvironnementaux mais aussi des risques sécuritaires transfrontaliers avec notamment les mouvances islamiques radicales. La variété de pratiques artistiques dont l’essentiel tourne autour de la fête des ignames, le Kroubi ; les danses et costumes du Zanzan (Bondoukou) et le Festibo (Bouna) en font une zone dynamique.

Ce premier blog présente la richesse géographique et culturelle du pays … nous vous invitons à partager votre expérience et des exemples concrets des formes de résiliences ivoiriennes face aux différentes crises dans la boite a commentaire ci-dessous.

Ce premier blog présente la richesse géographique et culturelle du pays et nous souhaitons étudier dans notre projet de recherche la manière dont certaines communautés ont pu aborder ces multiples crises, que cela soit face à la violence ou les désastres naturels ou les épidémies. Nous sommes donc à la recherche d’innovations socio-politiques et culturelles et nous vous invitons à partager votre expérience et des exemples concrets des formes de résiliences ivoiriennes face aux différentes crises dans la boite a commentaire ci-dessous.

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